La livraison oubliée

Cette année là, le Père Noël n'avait pas toute sa tête, et, sur le chemin du retour de sa distribution, il s'exclama: « Ac'hmed[1] j'ai oublié la masure du Libist

La masure du Libist se dresse au milieu des tourbières perdues des marais des confins et abrite une pauvre famille qu'il eût été indécent de ne pas livrer. D'instinct, le Père Noël tira sur les rênes de ses rennes pour ralentir son allure. Et, comme il amorçait son demi-tour, il se fit la réflexion qu'il avait déjà effectué son ultime livraison[2] et qu'il était déjà bien fatigué et qu'après tout, même si ce n'était pas lui qui y allait, l'essentiel était que la livraison fût accomplie.

Cette année là, c'était le jeune Gründal qui accompagnait le Père Noël dans sa tournée. C'était un jeune lutin plein d'allant et de dévouement. Aussi, un peu hypocritement, le Père Noël lui proposa-t-il de lui déléguerla livraison oubliée; sachant bien que le jeune lutin, non seulement n'oserait pas refuser, mais serait même honoré de la confiance qui lui était ainsi accordée. Ainsi, le Père Noël fit-il faire un détour à son traineau sur le chemin du retour pour parachuter le jeune Gründal aux abords de la masure du Libist, dans les tourbières perdues des marais des confins.

Cette année là, l'eau avait mis un point d'honneur, après un longtemps d'abstention, à descendre du ciel vers la terre depuis le début de novembre et les terres des marais des confins avaient été particulièrement bien servies. Aussi fut-ce sur un sol particulièrement spongieux qu'atterrit le jeune Gründal. S'il s'en réjouit dans un premier temps - sa chute en ayant été d'autant amortie - le jeune Gründal changea d'opinion aussitôt qu'il essaya de la fange qui l'avait recu pour progresser vers la masure du Libist.

S'il parvint à lever la jambre gauche pour avancer, sa botte refusa de quitter la tourbe et, c'est en chaussette qu'il dut sa route. Celle-ci s'avéra d'autant plus incertaine que le largage du Père Noël - qui, rappelons le, n'avait, cette année là, pas toute sa tête - avait été approximatif. Le jeune lutin lutta vaillament contre la terre spongieuse, pieds nus - car il avait bientôt perdu sa seconde botte et ses deuwx chaussettes - pour atteindre la masure du Libist. Mais la terrible adhérance spongieuse des tourbières eut raison de lui.

N'en pouvant plus, se voyant dans l'impossibilité d'accomplir sa mission, la mort dans l'âme, le jeune et brave Gründal se résolut à appeler le centre de secours du Père Noël. Mais la région perdue des marais de la terre des confinsne bénéficiait que d'une très faible couverture en réseaux de communications distantes. Aussi, le jeune Gründal s'évertua-t-il longtemps à tenter de joindre ceux qu'il pensait pouvoir le secourir jusqu'à ce que la désespoir le gagne.

Epuisé à l'extrëme, il n'émit bientôt plus aucun son. A bout de force, il voyait bien que toute tentative d'avancer ne faisait que l'enfoncer encore. Et il bien qu'il l'ignorât, il pouvait à juste titre abandonner tout espoir car dans sa lutte obstinuée il avait atteint l'aplomb du Youdig et les esprits d'en bas lui saisissaient déjà les pieds.

Mais, s'il se résignait en silence à l'inéluctable, les tourbières des marais des terres des confins résonnaient encore de ses appels désespérés. Et si les tourbières des marais de la terre des confins sont pauvres en réseaux de communicatiosn distantes, elles sont riches d'oreilles attentives et pointues.

Boudiged ar libist, la fée du lac et des marais vaquait à ses occupations, jouant à la course des tritons et des feux follets quand ses oreilles et aussi sont coeur perçurent les échos des appels de Gründal. Les fées sont êtres volatiles que peu de choses ébranlent mais elle sentit au plus profond la terrible situation dans laquelle était venu le jeune lutin. Elle éprouvait aussi sa bravoure, son innoncence et son dévouement. Aussi, interrompant ses jeux, convoqua-t-elle ses Korrigans pour qu'ils partissent illoco à la rescousses du désepéré.

Ils firent diligence, le localisèrent bientôt et, l'ayant extrait de la menaçante tourbe où il était, s'étant enquis de sa présence en ces lieux, l'amenèrent à la masure du Libist où il put faire sa livraison. Ceci accomplit, ils l'amenèrent encore en un point d'où il put enfin contacter les secours du Père Noël qui firent à leur tour diligence pour le rapatrier auprès des siens.

[1] Ancien juron des terres du confins à peu près intraduisible.
[2] Voir «Le petit verre d'eau de vie», noel02.