Le Noël du Père Noël



Lorsqu'on lui demanda ce qu'il faisait pour Noël, le Père Noël dut bien répondre qu'il travaillait. Pour couper cours à toute question, il expliqua qu'il devait assurer certaines livraisons qui ne souffraient aucun retard. Comme on comprit que cette livraison ne devait pas avoir lieu avant la mi-nuit, on l'invita à venir partager la première partie de la soirée.
Méditant que, somme toute, il n'avait jamais connu de Noël que les préparatifs de sa distribution, et qu'en s'organisant un peu, il pouvait disposer de cette première partie de la soirée; c'est avec joie qu'il l'accepta l'invitation de ses nouveaux amis.


Au jour dit, ému comme un premier communiant, il se présenta chez ses hôtes. Des enfants surexités lui ouvrirent et il crut voir dans leurs yeux la même brillance qu'ont les étoiles dans la nuit de la St Sylvestre. Ses amis le débarraserent de son lourd paletot, le firent s'assoir et lui servirent le cocktail pétillant que l'un d'entre eux avait spécialement concocté pour l'occasion. Il y avait du feu et pour seul éclairage le reflet des bougies sur les boules et les guirlandes.
Laissant, au bout d'un temps, les enfants à leurs rires et les adultes à leurs conversations, le Père Noël s'introduisit dans la cuisine où le fumet des viandes et des sauces firent fête à ses narines. Il goûta du bout du petit doigt la crème qui accompagnerait les desserts. Sa rêverie gourmande fut interrompue lorsqu'on le réquisitionna pour dresser le plateau de fruits de mer. L'odeur de l'iode lui monta à la tête, à moins que ce ne fût le petit blanc sec que l'on offrit à l'écailler...
Tout fut fin prêt et l'on passa à table. Chaque mets fut accompagné du vin qui lui convenait. Le calva du trou normand possédait à la fois la quiétude du grand Père qui l'avait bouillu et la vivacité de sa bru qui le servit. Les rires étaient chauds et, par faveur, les enfants purent sauter directement au dessert avant d'aller se coucher. Ils firent le tour de la table pour embrasser chacun et le Père Noël leur chanta, en guise de berceuse, une vieille chanson qu'il avait entendue une nuit qu'il s'apprêtait à descendre par la cheminée d'une chaumière russe.
Les enfants endormis, le Père Noël et ses amis goûtèrent encore les fromages, les bons mots que l'on fait quand les mots, un peu ivres, se soutiennent l'un l'autre, et l'alliance sucrée de la vanille avec le chocolat. Tant et si bien qu'au moment où, dans les petits verres, ronronnent les liqueurs digestives et qu'en l'air flottent les arômes des fumées exotiques, il fut presque minuit. Tant et si bien qu'en la douce torpeur qui bercait les convives, comme on glisse son corps dans la caresse d'un édredon chargé de rêves, le Père Noël s'endormit sur le canapé!...


Si d'aventure quelqu'enfant avait su rester éveillé, il aurait certainement remarqué comment la lueur exténuée des bougies se raviva d'une étrange façon; il aurait certainement senti comment l'air de la pièce se changea en une luminescence poudreuse. Il aurait alors vu comment, inexplicablement, chacun s'assoupissait. Mais tous les enfants dormaient sans exception et personne ne vit comment, avec la prudence timide des souris, sortant de sous la table ou de sous les fauteuils, tous les lutins du Père Noël envahirent les lieux.
Ils contemplèrent un temps, perplexes, leur patron ronflant du sommeil du juste. Puis, sans qu'aucun mot fût prononcé, ils se mirent en mouvement, et, avec toute la tendre attention que l'on met à soulever un enfant endormi, tous les lutins du Père Noël le portèrent jusqu'à la cheminée. De là, avec toute la prudence que l'on met à transporter une porcelaine rare, ils le halèrent jusqu'au toit oùl 'attendait son traîneau. Les rennes irrévérencieux se poussèrent du coude lorsque le Père Noël, partiellement revenu de sa langueur, leur lanca un joyeux "Hue cocottes !"...


Je me souviens qu'un soir, revenant d'un réveillon chez des amis, me parvinrent des toits les échos incongrus d'une chanson à boire.